Pourquoi les Global Citizens doivent s'en préoccuper
Alors que les récents événements inscrivent la citoyenneté au premier plan de nos préoccupations, il est plus que jamais essentiel de veiller à ce que tous les individus, en particulier les plus vulnérables, aient une place à la table des négociations. Les Nations Unies appellent les pays à favoriser l'inclusion, à promouvoir l'avènement de sociétés pacifiques, à assurer la justice et à mettre en place des institutions solides. Que ce soit par le biais du vote, de la mobilisation collective ou de l'activisme, de nombreuses façons s’offrent à nous, Global Citizens, pour faire entendre notre voix dans la lutte contre l'injustice et l'extrême pauvreté. Vous pouvez nous rejoindre en passant à l'action ici.

« Singes. »

C'est le terme que l'ancien président français Nicolas Sarkozy a récemment choisi d'associer aux Noirs. 

Quelques jours auparavant, Valeurs actuelles représentait une députée noire en esclave ; Judith Waintraub laissait entendre sur Twitter qu'une jeune femme musulmane qui partageait des recettes abordables sur Instagram était liée aux attentats du 11 septembre ; et des députés français quittaient l'Assemblée nationale au début du mois, indignés par le fait que la présidente de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), Maryam Pougetoux, se soit présentée devant eux vêtue d'un voile.

Certains pourraient penser que ces événements ne sont que de terribles exemples du racisme qui sévit aujourd’hui dans la société française. 

Mais, pour beaucoup d'entre nous, ils représentent bien plus que de simples actes racistes : ils révèlent une certaine facilité à ériger l'idée d'un citoyen français légitime, tout en soulignant ce que cela signifie de ne pas être considéré comme tel.

Lorsque Mme Waintraub a attribué à une femme française les pires attentats que l'Occident n'ait jamais connus, elle l'a en fait accusée d'être une étrangère à la République française. De même, le refus des députés d'entendre les propositions politiques d'une citoyenne française telle que Mme Pougetoux du fait de son appartenance religieuse équivaut à lui nier le droit de participer à la vie politique de son propre pays. 

Toutes deux avaient de précieux conseils à donner pour lutter contre la pauvreté dans leur pays ; or leur voix en tant que citoyennes n'a pas été entendue. 

Mais que signifie la citoyenneté si elle ne consiste pas à se faire entendre ? 

La réponse à cette question réside dans la définition même de ce que signifie « être Français ».

De prime abord, la citoyenneté française symbolise une unité commune basée sur les trois principes de liberté, d'égalité et de fraternité, tous inscrits dans un système politique connu sous le nom de Républicanisme. En théorie, ce modèle vise à garantir les mêmes droits à tous ses citoyens, indépendamment de leur identité, de leur religion ou de leur appartenance raciale.  

Ainsi, la question raciale et la religion sont toutes deux taboues en France. Le gouvernement ne collecte aucune donnée raciale, et le mot « race » a été retiré de la Constitution en 2018. De même, l'appartenance religieuse ne peut être publiquement exprimée. Derrière ce raisonnement se cache l'idée qu'il n'existe qu'une seule « race » — la race humaine — et que toute référence à des identités différenciées renforcerait les hiérarchies entre les citoyens français. 

Si cette vision universaliste et excessivement séculaire de l'égalité peut en séduire plus d'un, ses conséquences sont bien plus néfastes que prévu. Nier la notion de « race » ne fait pas disparaître le racisme, tout comme le fait d'insister sur la priorité accordée au fait d'être Français au détriment de toute autre identité — religieuse ou autre — ne suffira pas à insuffler, comme par magie, un sentiment d'appartenance à tous les citoyens français. 

Au contraire, le fait d'insister que les minorités rentrent dans ce moule supposément neutre et laïque est justement ce qui génère de l'exclusion. Les récents événements ont peut-être rendu ce problème plus apparent, mais ces enjeux ne sont en rien nouveaux. 

Au cours des dernières années, l'identité française a constamment été instrumentalisée de manière à exclure les minorités, notamment les enfants issues de l’immigration et les femmes musulmanes. Les idéaux de laïcité et d'égalité sont fréquemment invoqués pour condamner la soi-disant « incapacité » des minorités immigrées à « s'intégrer » dans la société française, même si ces dernières sont souvent présentes en France depuis des générations.

Tel est le paradoxe de la définition moderne de la citoyenneté française : un individu peut être français sur le papier, tout en étant constamment conscient qu'il ne le sera jamais réellement en raison de son identité. Les idéaux de la citoyenneté française recréent ironiquement les mêmes barrières et hiérarchies qu'ils entendaient éliminer par l'ignorance. Cette vision de la citoyenneté ne laisse aucune place à l'expression de la diversité ; elle perpétue une forme de racisme héritée du colonialisme sous couvert d'universalisme et d'égalité.

Seulement voilà : ignorer un problème ne le fera pas disparaître ; par contre, le résoudre pourrait se révéler bien plus efficace. 

Pour ce faire, il est essentiel d'affronter et de reconnaître comment l'histoire coloniale continue de façonner la compréhension actuelle de la citoyenneté française. Être Français, ce n'est pas adhérer aveuglément à des idéaux universalistes et aveugles à la couleur par souci d'« égalité ». C'est reconnaître que ces principes sont profondément lacunaires et qu’il faut les réformer collectivement.

Cela implique de permettre aux gens d'exprimer librement leur identité et de reconnaître que les Français racisés — dont beaucoup sont des enfants d'immigrés des anciennes colonies françaises d'Afrique du Nord et de l'Ouest — continuent de souffrir d'un racisme systémique aux mains de l'État. Cela signifie également réagir au fait que les Français Noirs et Arabes ont 20 fois plus de chances d'être contrôlés par la police, et que 70% des femmes musulmanes sont les premières à faire les frais d'une islamophobie sexiste.

Peut-être qu'un jour, nos dirigeants entendront les préoccupations que leurs citoyens les plus marginalisés expriment depuis des décennies. S'attaquer à ces problèmes supposerait de reconnaître que le racisme systémique est à l'origine de toute une série de problèmes tels que la pauvreté et les inégalités d'accès à l'éducation, pour n'en citer que certains. Cela reviendrait également à donner la parole à celles et ceux qui pâtissent le plus de ces problèmes, non seulement à l'Assemblée nationale, mais aussi dans d'autres institutions clés à travers le monde. 

Faute de quoi, « être Français » continuera d’être synonyme d'une futile quête d'unité menée aux dépens d'un « Autre » éternel.

Opinion

Exiger l’équité

Que signifie réellement « être Français » ?

Par Sarah El Gharib